Tintin s'expose et défile dans la rue !

Hergé et Tintin sont indissociables. Hergé le clamait haut et fort ! Bien après sa mort cette relation exclusive fait toujours couler autant d'encre. On le sait, Hergé ne souhaitait pas qu'on reprenne sans lui les aventures de Tintin. Aujourd'hui Fanny Rodwell, seule héritière du patrimoine, tient à faire respecter les souhaits de son défunt époux. Tâche difficile qui s'accomplit dans un climat tendu. C'est le moins qu'on puisse dire ! C'est un fait Hergé n'est encore dans le domaine public mais ses personnages sont profondément ancrés dans la culture planétaire. Tintin est à la bande dessinée ce que le Frigidaire est au réfrigérateur ! Il est pour beaucoup un produit culturel générique.
Hergé et Tintiin sont de phénomènes planétaires qui ont marqué plusieurs générations. Mais qui est le plus célèbre Hergé ou Tintin ? Peut-être Tintin, mais Hergé ne doit pas être loin. Tout phénomène planétaire est traité par le champ artistique un jour ou l'autre. Hergé se retrouvera ainsi souvent dans les mains des artistes

Peter Klasen

L'art et Hergé
Beaucoup d'artistes - des peintres, des sculpteurs, d'illustrateurs, des cinéastes - ont intégré dans leur travail l'univers graphique d'Hergé (ou sa personne même). Cela se passait déjà se son vivant, mais l'intérêt du milieu artistique s'est amplifié après son décès en 1983. Comme les parodieurs de la BD, les artistes ont des motivations très diverses. Tous ne sont pas des Tintinophiles ! Mais ce phénomène aimé et consommé par la planète depuis des générations a surtout été évoqué de manière positive. Pas de règlement de compte ou de "Guernica de la ligne claire". Les détracteurs d'Hergé existent. Sa jeunesse dans l'entourage de Léon Degrelle et son neutralisme durant la seconde guerre mondiale sont pour certains des faits indélébiles. Mais le champ artistique a préservé l'homme d'après guerre, un être fondamentalement différent, et a privilégié l'hommage. Cela passe par de simples évocations (citation), des évocations plus sentimentales ou des jeux sémantiques, des métaphores graphiques, etc..

Hergé et l'art
Hergé a toujours aimé la peinture. Il modifiera peu à peu ses goûts. Son ami Pierre Sterckx, critique d'art, a eu auprès de lui une grande influence. Il écrivait en 1983 (1): " Les dessinateurs de BD, s'ils admirent quelques maîtres anciens (Jacobs adorait Brueghel, Moebius vénérant Vermeer) ils ne cherchent aucun accès à l'art contemporain, que bien souvent ils trouvent haïssable. Hergé faisait exception. C'était un passionné de peinture, ancienne et moderne. Pendant les 18 années que dura notre amitiés, j'ai vu cette passion s'amplifier et se préciser..."
Résolument intéressé au début par une peinture classique figurative et narrative, il va par la suite se retourner vers la modernité. Il fréquente les galeries, rencontre des artistes, visites des expositions, etc...Il aime Holbein, Miro, puis le mouvement Cobra. Il n'apprécie guère en revanche les courants gestuels comme l'expressionnisme abstrait avec ses artistes de "l'action painting". Il a écarté ainsi l'un des plus grands peintres du XX ème siècle : Jackson Pollock. En revanche l'abstraction froide des artistes "Hard Edge" l'attire. Là est la clé des goûts contemporains d'Hergé et on ne s'en étonnera ! "Hard Edge" signifie "bord dur ou tranchant". Un adepte de la ligne claire ne pouvait pas rester insensible aux rigueurs abstraites d'un Frank Stella, Kenneth Noland ou Barnett Newman, etc...Il achètera des oeuvres notamment un Stella. Hergé fréquente les galeries et étoffe ses préférences. L'abstraction froide européenne attire également son attention. Pierre Sterckx lui apporte régulièrement ses connaissances sur l'histoire de l'art enrichissant ainsi un peu plus sa réflexion personnelle. Il s'intéresse ainsi aux arts primitifs : art égyptien, indien, africain et chinois. Il achète de nombreuses pièces qu'il installe un peu partout chez lui.

La découverte du Pop Art constitue une étape importante. Comme pour l'Hard Edge, les artistes Pop se démarquent de la gestualité des expressionnistes abstraits. Ils prennent leurs sources dans l'univers de la société de consommation : les images publicitaires, les photos des magazines, les instantanés des photos de particuliers, les titres bigarrés à l'extrême dans les supermarchés, les enseignes lumineuses des magasins, et bien entendu, la bande dessinée des "comics" américains. Plastiquement les artistes adoptent souvent les aplats de couleurs et des contours nets. Toutes ces particularités ont attiré Hergé. On a beaucoup parlé d'Andy Warhol puisque ce dernier a peint des portraits d'Hergé. Et puis ils se sont rencontrés et la presse n'a pas manqué l'événement.

Hergé rencontre Andy Warhol en 1976

Warhol peignait, ou plus exactement il "multipliait" par la sérigraphie , tout ce qui se consomme dans la popularité en occident. Tout était bon : du Coca, des boîte de soupe ou de lessive, des images fortes des magazines et bien entendu des stars ! Toutes sortes de stars et Hergé en est une ! Warhol en fera un immense commerce, jusqu'à l'overdose ! Des émirs, des vedettes, de riches inconnus.
Mais c'est surtout Roy Lichtenstein qu'Hergé appréciera le plus. Tout chez ce peintre lui convenait : rigueur du trait, grands aplats de couleurs, thèmes lisibles qui de surcroît sont souvent issus du "comic book"

.Mais Hergé ne nullement prisonnier du Pop Art. Il s'intérese à d'autres artistes, parfois jeunes comme Jean Pierre Raynaud. Cet artiste, ancien jardinier (!) peint et construit des objets et ses obsessions de manière froide et simplifiée avec des couleurs vives et tranchantes. Des particularités plastiques proches d'Hergé.
Dans les années 70 l'avant-garde concerne les courants conceptuels et minimalistes. Hergé, suivra avec prudence ces nouvelles attitudes artistiques qui s'éloignaient de l'image picturale. Ils appréciera certains minimalistes comme Sol Lewitt dont les formes rigides rappellent le courant Hard Edge. Hergé suivait avec attention les nouveautés et contrairement à beaucoup d'autres "amateurs", il n'a pas rejeté systématiquement les nouvelles démarches, même si certaines se situaient aux antipodes de ses préférences. En plusieurs années il a constitué une collection très diverse mais cohérente. C'est ainsi qu'on reconnaît les collectionneurs compétents. En 1962 il confiera à Benoît Peters : "J'aime la peinture et j'aime avoir des dessins ou des toiles sur les murs. Je ne pourrais pas vivre, je crois, sans peinture autour de moi". Cela a duré jusqu'au début de sa maladie qui l'éloigna de l"actualité des arts plastiques.

Les hommages et les expos

Les artistes illustrateurs ou infographistes ont souvent abordé l'univers de Tintin. Tous ne sont pas auteurs de BD mais proviennent de secteurs divers des arts appliqués. Plusieurs manifestations se sont déroulées depuis la mort d'Hergé réunissant un large éventail de créateurs plus ou moins célèbres : graphistes de publicité, auteurs de BD, artistes contemporains. Les productions qui ont surgit de ses manifestations ont été parfois publiées dans des revues ou des catalogues.
En 1979, une importante exposition officielle tourna dans de nombreux pays : le musée imaginaire de Tintin. Conçue et réalisée notamment par Pierre Sterckx, elle montrait au public l'étendue des sources documentaires qu'utilisait pour réaliser ses albums. L'art primitif y tenait une place importante. De cette exposition a été tirée un remarquable album dans lequel Hergé nous explique comment naît une histoire de Tintin. Peu de temps après la mort d'Hergé, cette exposition arriva à Barcelone à la Fondation Miro. Les organisateurs ajoutèrent une autre rassemblant des hommages graphiques à Hergé. Cet ensemble constitue à mes yeux la meilleure manifestation organisée autour d'Hergé. Un remarquable catalogue a été édité pour cette occasion. Aujourd'hui épuisé, cet ouvrage est très recherché des collectionneurs.
Une autre exposition tournante, "Hommage à Tintin," organisée en 1985 par la région Nord-Pas de Calais à rassemblé une quarantaine d'artistes contemporains. Il s'agit surtout d'artistes peintres et on retrouve moins d'oeuvres "graphiques" qu'à l'expostion "Tintin a Barcelone". Un catalogue est aujourd'hui la seule trace de ses oeuvres qui ont retrouvé pour la plupart leur auteur. Objet rare !
Une autre exposition a laissé un catalogue rare "Les traces de Tintin dans l'imaginaire". Exposition à Tournai regroupant une majorité de plasticiens en 1987 .

En dehors des milieux artistiques professionnels, les expositions sur le thème de Tintin sont très rares. Aujourd'hui avec les exigences commerciales et esthétiques de Moulinsart, des expériences comme le "Corso fleuri" (défilé de chars fleuris) de la ville de Sélestat seraient immédiatement refusées. Cette manifestation locale organisée chaque année en Août avait retenu en 1986 l'univers de Tintin . La ville de Sélestat a d'ailleurs reçu l'exposition tournante "Le musée imaginaire de Tintin"
Art "brut" ou artisan d"amateur, il y a bien en tout cas avec ces chars fleuris des oeuvres sincères et originales. Malheureusement le petit programme édité pour cette occasion n'était pas à la hauteur de l'événement.

Il existe aussi des illustrateurs comme Jochen Gerner qui imprègne leurs travaux de quelques évocations à l'oeuvre d'Hergé :TNT en Amérique est un pur chef d'oeuvre ! Ou bien encore comme Guiome David qui a réalisé une superbe galerie de portraits personnels sur Tintin à ne pas rater ! C'est supebe !


Guiome David

Depuis 2006 Pierre Carré présente dans ses expositions des images étonnantes. Il reconstruit en photographie avec des acteurs amateurs des vignettes du Secret de la Licorne.


pour voir les merveilles !